La nouvelle génération des jeux Paradox

L’édition 2019 de la ParadoxCON a vu l’annonce de Crusader Kings 3. Les réactions furent nombreuses et encore commentées : « Trop tôt », « super », « je vais enfin pouvoir me mettre sur cette série », …

L’objectif de cet article n’est pas de commenter l’opportunité d’un troisième opus mais de s’intéresser à cette nouvelle génération des jeux Paradox. Quels seront ses objectifs et principes ? Que devons-nous en attendre ? Mais avant, revenons sur la génération actuelle.

La génération actuelle des jeux Paradox, une étape majeure dans la diversification de la base des joueurs


C’est Crusader Kings II qui a débuté cette nouvelle ère des jeux Paradox. Les principes étaient clairs :
- Une interface plus lisible et des actions plus faciles d’accès
- La possibilité de trouver facilement les informations sur les mécanismes du jeu
- Un multi stable et facile d’accès
- Peu de bugs (par rapport à l’ancienne génération)
- Un développement sur le temps long via des patchs et des DLC

Amélioration de l’interface

Avant lui, les jeux Paradox étaient considérés comme des jeux de niche, complexes et peu abordables. Europa Universalis III, fleuron de Paradox, s’adressait à des joueurs férus d’histoire et voulant une expérience au plus proche des considérations des dirigeants de l’époque. Qui se souvient encore, sur Europa Universalis III, que la manière de jouer l’économie d’un mineur en début de jeu reposait avant tout sur un contournement des mécanismes pour notamment vendre ses conseillers ?
Avant lui, la richesse des mécanismes justifiait une interface obscure, des mécanismes difficiles à comprendre et des informations parcellaires. Vous vous souvenez des difficultés à équilibrer son budget sur Europa Universalis III entre les différentes sources de revenu qui n’avaient pas la même temporalité et cette barre de génération d’argent en échange d’une inflation ? Et sur Hearts of Iron III, avec certaines caractéristiques des unités qui servaient à rien car n’ayant aucune implication dans le code du jeu (cf la Toughness) ?

Avec lui, c’est une nouvelle philosophie qui émerge telle l’antiquité laissant place au Moyen-Age.

L’interface doit tout d’abord être lisible et les actions faciles d’accès. A la sortie de Crusader Kings II et pour les jeux suivants, une action devait généralement être accessible en deux clics. Vous alliez dans un menu, dont la désignation devait être évidente, et vous cliquiez sur l’action souhaitée.
Cela peut sembler normal aujourd’hui, mais avant ce n’était pas le cas. Certaines actions demandaient plusieurs clics pour être accessibles. Avec le développement de jeux, les patchs et les DLC, ce principe a légèrement perdu de sa valeur ce qui explique notamment l’arrivée de la génération suivante.

Des mécanismes compréhensibles

Ensuite, l’information doit être accessible. Les « tooltips », les boutons avec un point d’interrogation, voir les liens vers le wiki de Paradox sont des créations qui arrivent avec Crusader Kings II.
Vous pouvez désormais avoir des informations facilement pour comprendre le mécanisme, son fonctionnement et ses conséquences. Par exemple, pour la diplomatie vous devez connaître les modificateurs en positif et en négatif qui affectent la décision de l’IA. Cette information vous permet de savoir quelles actions entreprendre pour réussir votre objectif comme signer une alliance avec tel pays.

Un multi simple d’accès

Concernant le multi, il est dorénavant accessible depuis le jeu sans nécessiter un logiciel tiers. Pour les joueurs de Victoria II ou les autres « anciens » jeux, ne plus devoir passer par Hamachi ou Tunngle fut une révolution. Il était désormais plus simple de créer une partie multijoueur et en plus les joueurs pouvaient plus facilement se connecter à des multis potentiellement ouverts à tous.

Diminution du nombre de bugs
Les jeux Paradox ont également gagné en qualité avec une diminution du nombre de bugs. Hearts of Iron III a marqué de son empreinte indélébile l’histoire de Paradox avec un jeu injouable ou inaccessible aux joueurs jusqu’à un an après sa sortie. Tel le traumatisme de la Première Guerre Mondiale, « Plus jamais ça » fut le mot d’ordre.
Un jeu Paradox doit être jouable dès sa sortie avec le minimum de bugs pour entraver le plaisir de jeu. Si vous conspuez les divers bugs qui peuvent émailler vos parties, vos critiques vous voudraient le sobriquet « d’enfant gâté » de la part des vétérans du genre.

La politique des DLC

Enfin une dernière nouveauté, une politique basée sur un développement de long terme avec des patchs et des DLC. Les premiers sont gratuits et accessibles à tous, les seconds passent par un achat. D’une certaine manière, Paradox fut un précurseur de ce qui est désormais appelé le « Game as Servicd ». Alors que cette génération touche à sa fin, le soleil qui se couche à l’horizon derrière nous permet de dire que ce point fut le plus décrié.
Les avantages sont nombreux et ne doivent pas être négligés. Tout d’abord cela permet au jeu de bénéficier d’un suivi sur le temps long qui permet une maturité et un équilibrage des mécanismes. Les joueurs, dont certains sont des maîtres de l’optimisation et du tableur, peuvent faire leurs retours qui peuvent être suivis par les développeurs.
Johan, disait dans une interview : « S’il fallait comparer l’évolution de nos jeux actuels à ceux plus anciens, nous serions plutôt sur Europa Universalis VI voir VIII ». Crusader Kings II a été suivi pendant 6 ans et il est probable que la plupart des jeux actuels auront un suivi relativement identique. Ils ressemblent peu à leur état le jour de leur sortie, prenez Europa Universalis IV avec cette vidéo anniversaire faite par Diderlord et Restif :




Ensuite, ces améliorations des mécanismes, voir ces ajouts, sont proposés gratuitement aux joueurs sans coût supplémentaire. Même le joueur qui ne dépense pas d’argent en plus voit donc son jeu être corrigé et amélioré tandis qu’avant il devait acheter une extension.

Les inconvénients existent et ils sont nombreux. Les plus pertinents en cette fin d’époque me semblent relever du choix de ce qui doit être dans un patch ou un DLC et l’absence d’interaction entre les DLC.
Tout d’abord l’arbitrage entre ce qui relève du patch et qui relève du DLC. Comment prendre cette décision ? Tel mécanisme ne devrait-il pas « être dans le jeu de base » ? Tel mécanisme dans un DLC ne rend-il pas ce dernier « obligatoire » ? Le mettre dans le patch ne rend-il pas le DLC « inutile » ?
La plupart – si ce n’est la totalité – des joueurs ont pesté une fois sur le contenu d’un DLC. Néanmoins, l’équilibre est difficile à trouver pour permettre de rendre un DLC attractif tout en poursuivant le développement du jeu et éviter l’aspect « j’achète ce DLC pour soutenir Paradox ».
Les interactions entre les DLC est également une lacune majeure, car le contenu d’un DLC n’a pas de lien avec un autre. Ainsi, un mécanisme d’un DLC est autosuffisant et n’est pas amélioré par le contenu d’un DLC ultérieur ce qui limite sont évolution future.

A l’aune de ces années d’expérience il y a eu des ratés dans ces arbitrages et interaction. Europa Universalis IV est le principal exemple d’une suite d’arbitrage qui ont eu des conséquences :
- L’introduction du développement dans Common Sense via le DLC a posé ensuite des problèmes dans le développement d’interaction avec d’autres mécanismes. Il fut décidé de le rendre gratuit.
- Les ordres de The Cossacks ont suvi le même problème avec l’impossibilité de les faire interargir avec d’autres mécanismes. La décision fut prise de les retirer du DLC.
- Stellaris n’est pas exempt du problème avec les ascensions qui ont eu des contraintes identiques.

Un autre problème important après quelques années est que le nombre de DLC constitue un frein pour les nouveaux joueurs. Prenez Crusader Kings II, le nombre de DLC peut limiter l’achat du jeu de base, rend illisible la liste des DLC, limite les possibilités de hiérarchiser l’importance des DLC.
De même, la fréquence des sorties et les coûts ont parfois donné ce sentiment d’early acces permanent. Difficile de se lancer dans une partie si vous n’êtes pas capable de la terminer avant le prochain patch qui va modifier plusieurs éléments ou enfin équilibrer tel mécanisme.

Un dernier point négatif négatif concerne le modding. Le rythme des sorties pour la plupart des jeux, à l’exception de hearts of iron IV, met une pression considérable sur les équipes de modding. Seuls deux types de mods semblent pouvoir exister dans le modèle actuel : les petits qui modifient peu de paramètres comme les cosmétiques, et les « gros » avec des équipes importantes pour assurer le suivi et les modifications tout au long du développement du jeu.
Par exemple, un mod comme RIRSEI pour Crusader Kings II est une anomalie dans le paysage du modding. C’est un mod qui modifie de nombreux fichiers et qui a été suivi pendant plusieurs années.

Je me permets une appréciation personnelle. Malgré ses défauts, je vois difficilement un jeu de grande stratégie être développé autrement désormais. Les qualités qu’offre le suivi en continu compensent les défauts qui sont apparus. CA a suivi ce modèle pour les TW, et de manière générale toute les grosses compagnies visent à créer ces jeux « game as a service » avec une durée de vie importante.

Enfin, dernier élément de cette fin de génération, Paradox a aussi évolué en interne avec la création de nouveaux outils et l’amélioration de son moteur de jeu ainsi que l’arrivée de nouvelles compétences. Cela permet d’industrialiser leurs process et de créer plus facilement et efficacement leurs jeux.
Cette évolution du studio a aussi donné lieu à l'homogénéisation des jeux sur certains mécanismes. Par exemple, le système de focus de HOIIV se retrouve dans les missions de EUIV et Imperator ainsi que dans le futur CKIII pour les compétences. Le système des forts de EUIV tiré de Art of War a fait des émules et sera à terme dans la plupart si ce n'est tous les jeux Paradox.

La nouvelle génération, le marché des consoles comme enjeu principal ?


A la lecture des premiers carnets de CK3, les principes de cette nouvelle génération semblent être :

- Des jeux prévus nativement pour PC et console : Paradox a passé le cap, désormais ces jeux sont pensés à la fois pour PC et console, ce qui n’est clairement pas une évidence vu le genre.
Le multijoueur sera-t-il crossplateforme ? Ce sera à voir avec le temps.
- Nouveau cap dans l’interface : Notamment en lien avec le précédent point, le fait d’être sur console va signifier a minima un travail très important sur l’interface et le nombre de clics pour atteindre les actions.
- Industrialisation du process de création via les outils (y compris pour modding) : Imperator a au moins montré des outils de création efficaces qui permettent à Paradox de développer plus vite et mieux leurs jeux. Il faut espérer que ces outils seront utilisables pour le modding.
- Toujours plus multi : Si Paradox poursuit le travail de HOI4 sur la stabilité et l’efficacité du multi, cette partie va poursuivre son accroissement.
- Des tutos : Un tuto a déjà été annoncé pour CK3 et il est probable que la conquête de nouveaux joueurs consoles ne pourra se faire sans un tuto efficace.
- Un système de missions ou focus pour orienter les choix des joueurs: C'est le nouveau mécanisme phare de Paradox pour guider le joueur, après les focus de HOI4 et les missions d'Europa, voici l'arbre de compétences de CK3
- Une politique de DLC qui capitalisera sur les acquis de l’ancienne génération : Après l’expérience acquise sur les précédents opus, il faut espérer que les problèmes seront résolus. Cela signifie que pour chaque DLC, soit les gros changements seront dans les patchs et l’additionnel dans le DLC (exemple des « Ages » d’EUIV) pour permettre une évolution et une interaction du mécanisme. Soit si le mécanisme se suffit, le mécanisme sera alors dans le DLC et quelques ajouts dans le patch (cf Man the Guns ou La Résistance pour HOI4, cf l’islam pour CK2).

Une problématique va se poser pour chaque jeu : Comment insérer tous les ajouts des jeux précédents ? En effet, les années de développement ont amené de nombreux nouveaux mécanismes. Le joueur s’attend donc à en retrouver la quasi-totalité dans le nouveau jeu, tels qu’ils existaient avant, soit refondus dans de nouveaux mécanismes.
Pour Crusader Kings III, il a déjà été annoncé que plusieurs mécanismes ne seraient pas repris. On peut citer en exemple le mécanisme d’anti-pape ou le fait de joueur des républiques. Certains choix peuvent s’expliquer par la déception du mécanisme dans le jeu précédent (quel amusement dans le jeu des républiques ?), peut-être que d’autres ne sont plus pertinents avec certaines évolutions des mécanismes.
Dans tous les cas, les joueurs attendent légitimement de retrouver un contenu quasi-identique.

Enfin, quels sont les autres jeux que Paradox pourrait annoncer ? Pour rappel, le dernier DLC de CKII, Holy Fury, est sorti un an avant l’annonce de CKIII et les développeurs ont commencé à travailler dessus vers the Old Gods.
Europa Universalis V : Il est probable que ce soit le suivant puisque le 4 est le jeu qui a suivi Crusader Kings II. La prochaine extension européenne ressemble beaucoup à Holy Fury avec un gros travail d’interface et de corrections de bugs. De plus, les DLC existant sont de plus en plus un obstacle pour améliorer certaines parties du jeu. L’annonce aura donc probablement lieu d’ici 2 ans environ.
Victoria III : Vu que Crusader Kings III ne semble pas avoir de différences majeures avec le deuxième opus, rien ne semble empêcher la sortia d’un Victoria III qui conserverait la plupart des mécanismes du II, avec l’intégration de Pop Demand et des ajouts des autres jeux Paradox (interface, meilleur système militaire). Une annonce d’ici 2 ans serait normale.
Stellaris II : Le jeu est encore relativement récent et doit encore gagner en maturité. Il reste plusieurs aspects à développer avant que l’arrivée d’un deuxième opus ne soit nécessaire. Il faudra compter plutôt 3 ans pour une annonce.
Hearts of Iron V : Le IV a un développement des DLC plus long qui justifie de la conserver encore quelques années. Il faut aussi prendre en compte que c’est le jeu Paradox qui irait sans doute le moins bien sur console avec sa micro importante.

Et vous, qu’en pensez-vous ?