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  • Pénélope la Grenouille, ou pourquoi quand on est spécialiste de Nabokov, il faut rester spécialiste de Nabokov

    Ou aurais-je pu dire aussi : Bryan Boyd, ou le crépuscule des Dieux

    Oyez oyez, bonnes gens, la triste histoire d’un jeune doctorant …

    Poussé bien malgré moi à aller assister à une conférence qui devait être menée par un historien, je me vis pris en une terrible embuscade.
    Vous connaissez Joël Thomas. Vous connaîtrez désormais l’inénarrable Bryan Boyd, de l’université d’Auckland. C’est pas tout à fait le même niveau de WTF, mais le seuil de la décence reste allègrement franchi par le gars Bryan, et encore, à cloche pied les yeux bandés et en chantant Hallelujah.

    Faut dire que ça commençait mal : une conférence à Toulouse en anglais organisée par un putain d’institut sobrement intitulé Institute for Advanced Studies (triste avatar de la triste Toulouse School of Economics), ça poque du derche. Ca sent la purge, même. On devine la réunion de trous du culs péteux. Quand c’est un spécialiste de Nabokov qui se pique de parler de la naissance de la narration et du « storytelling » dans l’espèce humaine, on a tendance à retenir sa respiration. Mais là … Le moins qu’on puisse dire, c’est que j’ai pas été déçu.

    Le titre d’abord. « Evolution of Storytelling. Ancient Origins, Modern Impacts ». Bon, on se dit « Ok, ça sent la masturbation intellectuelle et le truc vu, revu rerevu et encore rererererevu », mais on y prend pas garde. J’en prends mon parti, plutôt, et je commence une palpitante partie de tarot contre moi-même avec l’aide de mon pc.
    Mais très vite, la connerie du bougre me rattrape. Malgré moi, je vais noter toutes les diapositives du bougre. Pour garder une trace. Pour la postérité.
    Première image qui capte mon attention : une petite vidéo sur « l’illusion de Simmel » : des triangles et un truc rond qui se courent après. Bien. Bien bien bien. Je sors mon petit papier et j’attends la suite.
    Là, pas déçu, se succèdent à l’écran : une taupe à nez étoilée, une chauve-souris et des cloportes. J’étais tellement occupé à calmer mes pulsions meurtrières que je n’ai pas réussi à suffisamment écouter pour comprendre l’enchaînement logique. On parle de narration, je vous rappelle, normalement.

    Ensuite surgit devant mes yeux ébahit une crevette multicolore. Je l’avoue, je n’étais pas préparé. Alors que je n’étais pas encore en mesure de comprendre la subtile transition, plusieurs citations de Nabokov et de Darwin fusèrent dans l’air. Oui, de la Crevette à Darwin, seul Nabokov pouvait faire le lien. En gros, il était question dans cette partie préalable de montrer qu’y a une différence entre l’homme et l’animal, malgré la nature animale de l’homme. Merci Bryan, on avait bien besoin de cette brillante démonstration pour s’en convaincre.
    Sans se démonter, l’ami Bryan nous assène un petit coup d’Einstein pour faire bonne mesure (qu’est une communication scientifique sans une citation d’Einstein, sinon une communication scientifique ratée ?) avant de nous enchaîner un geai qui a beaucoup de plumes, des abeilles, puis un dessin avec une grenouille et la lune (il nous introduit en fait subtilement à la suite de son exposé, comme nous le verrons plus bas).

    Toujours dans la subtilité, Bryan nous montre des singes, qui crient pour signaler un danger (là, je me suis souvenu d’une très intéressante émission de la Tête au Carré qui évoquait dans le détail le cas de certaines espèces tandis que notre cher conférencier s’est contenté de balancer ça à l’arrache et sans explorer la thématique, thématique supposée être, rappelons-le à ce stade, la narration). Avec une photo de silex et de mecs à poil peints, Bryan nous invite à nous extasier devant la créativité de l’Homme, de tout temps et à tout endroit. Merci, on avait besoin de toi. Enfin, avec une photo de souris sur deux pattes, il nous place face aux comportements qui font de l’homme un homme. Ok. Soit. Ce serait possible d’arrêter là ?

    Parce qu’encore, à ce stade, je n’en suis qu’à l’indignation blasée et aux gestes menaçants mal dissimulés. Ce serait sympa de pas aller plus loin.

    Mais non. Bryan ne sait pas s’arrêter. L’homme n’a aucun avantage : nous sommes lents, maladroits, nous n’avons pas de griffes, etc, notre seul avantage réside donc dans notre cerveau (on en déduit que Bryan aurait été sérieusement dans la merde y a quelques millénaires). Or, qu’est ce qui développe le cerveau, hm ? Le jeu et l’art, bien entendu ! Donc, puisque le jeu et l’art son positifs pour son cerveau, l’homme doit les aimer. D’où les jeux, les ris, et M. Soulage. La preuve : regardez les enfants ! Ils aiment instinctivement jouer et dessiner, c’est la preuve que ce que je vous dis est vrai, fermez vos gueules !
    Ebahi par tant de brio, je reste coi. Surtout que je n’ai pas eu le temps de digérer tout ça que Bryan nous a déjà jeté au visage des photos d’un barrage de castors, d’une construction en bois faite par des gosses (« c’est artistique, regardez, vos gueules ») et, bien évidemment, un panier en osier. J’aurais préféré lui balancer pour de bon un panier en osier au travers de la tronche, mais bon.

    Doctement, il conclut de cette somptueuse réflexion que les histoires, correspondant à notre nature profondément sociale, fédèrent le groupe. Nous sommes une « storytelling species ». Même que les groupes solidaires l’emportent toujours sur les groupes égoïstes, donc l’histoire est une sorte d’avantage évolutif. Pour renforcer cette assertion, une photo de citrouille verte sur une digue face à la mer surgit du néant. Bonjour, citrouille verte sur une digue face à la mer surgie du néant. Au revoir, citrouille verte sur une digue face à la mer surgie du néant.
    Jusqu’ici, on était dans la branlette intellectuelle reposant sur du vide, syndrome classique du lettreux universitaire qui se la pète. Mais là, on va entrer dans la phase de viol actif d’intellect pur. Attachez votre ceinture sur la route de la connerie.

    Car Bryan ne va pas se contenter d’étaler son caca d’un air satisfait. Il faut qu’il le répande sur des gens qui n’avaient rien demandé à personne. Homère par exemple. Le pauvre Homère. Des siècles après sa possible existence, le voilà qui va une fois de plus voir son œuvre ridiculisée …

    Le digne M. Boyd procède en effet à une étude comparative entre l’Odyssée d’Homère et les livres pour enfants des années 50/60. L’Odyssée d’un côté, « Horton Hears a Who ! » du Doctor Seuss de l’autre.
    Là, je me suis demandé si avoir vécu jusqu’à l’époque où cette comparaison serait possible était une bonne chose.

    Mais il va plus loin, le freluquet. Il fait une étude de cas précise en se basant sur l’ouvrage de référence « Frog, where are you ? », dessins à l’appui. Cette célèbre épopée nous livre le palpitant récit d’un gamin qui cherche sa putain de grenouille avec son chien et qui finit par la retrouver dans une mare avec sa famille de grenouilles mais elle aime bien le gamin donc elle le rejoint une fois qu’il l’a reconnue. Cessez de pleurer devant cette émouvante histoire (je vous ai épargné le cœur de l’aventure du gosse : son chien qui fait des conneries ou lui qui tombe dans l’eau) et réfléchissez plutôt. Le parallèle ne vous saute donc pas aux yeux ? Mais c’est tout pareil que le gars Homère, voyons ! Le héros atteint son but après de multiples aventures ! La grenouille, c’est Pénélope ! Enfin ! Sots que vous êtes ! Heureusement que M. Boyd a fait le chemin depuis Auckland pour vous élcairer, incultes barbares sans imagination et sans sens logique !

    Arrivé à ce stade, je n’étais plus en mesure que de hocher la tête d’un air pénétré en faisant la tête de celui qui se dit « Bon sang mais c’est bien sûr » tout en réfléchissant à la manière la plus adaptée pour mettre à mort l’ignoble.

    Devant mes yeux ébahis se succédèrent alors des photos de corbeaux en train de chercher de la bouffe ( ?) et des références à la con pour faire intello sur des « alternative causal routes » … Comme on l’a vu, le grand moment de la conférence pour le moment a été de définir que, puisque la grenouille manque au gamin et qu’il la retrouve d’une part, et que le foyer manque au héros et qu’il le retrouve de l’autre, un évident parallèle entre l’Iliade et les romans pour gosses des années 60 (et 90% de la littérature) a été établi. Mais il est temps d’aller encore plus profond dans tout ça, pour paraphraser notre délicieux invité.
    Les prochaines images sont donc celles de cabris qui jouent puis de skieurs. Eh oui, nous aimons jouer, c’est notre nature. Wouhou. En guise de cautions intellectuelles, des citations de Zola, de Tchekhov, de Joyce … Le tout sans aucun putain de rapport avec le reste. Eh oui, les histoires sont faites pour … PLAIRE ! Quelle révélation. Pour enfoncer le clou, une grosse diapo représentant l’expérience de Loew sur le stimulis, absolument illisible …
    En somme le « narrative » marche chez l’Homme car c’est un animal social. S’enchaînent une photo de Mère Theresa, quelques citations du Mahabharata, et, bien sûr, un graphique avec les stats du Dow Jones. Bien sûr. Enfin, en guise de bouquet final, un superbe montage de la Joconde avec un cheesecake sur la gueule et une photo du Soudan ( ?) avec des arbres et une rivière au milieu, et là … FIN.

    Apothéose, donc. Les questions étaient magnifiques puisque pas mal de monde a assisté à la conférence avec une attention visiblement soutenue … A chaque fois, Boydy a botté en touche avec une grande élégance en disant que oui, mais on a pas le temps de tout aborder, et puis il faut bien laisser du travail aux autres. Même à une question logique lui demandant quel rapport entre ces travaux (sic) et l’inconscient collectif. Quelle générosité ce Boydy. Au hasard, quand même, il a pu nous déclarer que les régimes autoritaires aussi font un récit qui les met en valeur mais que pour eux, bah non ça marche pas, les gens leur résistent. Ouah. La puissance des licornes, sans doute.

    Bref, Bryan Boyd, ce vendeur de rêve. Ce qui est drôle, c’est que ce gros sac à merde qui raconte du caca a certainement coûté une blinde à inviter pour cette « distinguished lecture » alors qu'il se contente d'étaler sa merde à gros coups de pinceaux (et il sera félicité pour) alors que d’honnêtes doctorants en chient pour organiser à vil prix des journées d'étude dont la plus mauvaise intervention reste largement supérieure à cet étron fumant.

  • #2
    Tu découvres le monde de la recherche ? Des conférences nazes où on perd son temps, il y en a des tas. C'est notre boulot de doctorant d'apprendre à faire le tri, et à reconnaître celles où il ne faut pas aller.
    C'est sûr que ça énerve souvent de voir où se barre l'argent qui pourrait servir à nous payer des vacations ou nos déplacements.

    Néanmoins, d'après ce que j'ai pu trouver, Brian Boyd semble être un vulgarisateur (il a surtout fait des bouquins, pas tellement de travaux scientifiques, et il bosse dans des labos de second rang). C'est pas très pro de l'accuser de "faire du caca", il faudrait plutôt reprocher le choix de l'avoir invité à l'organisateur.

    Poussé bien malgré moi à aller assister à une conférence qui devait être menée par un historien, je me vis pris en une terrible embuscade.
    Ce genre de phrase n'arrange pas la réputation qu'ont les étudiants en Histoire d'avoir des têtes particulièrement enflées (et de croire qu'à eux seuls ils ont inventé l'eau chaude, et qu'ils sont les gardiens du temple de l'Histoire dans lequel personne d'autre ne peut entrer...). J'en ai vu des bien nazes aussi, des conférences d'historiens qui ne voient pas plus loin que le bout de leur carrière. Sans compter que ce genre de pavé est symptomatique de la tendance de certains chercheurs à se lancer des des batailles d'insultes, qui dégénèrent souvent en longues rancunes d'écoles. Franchement, face à ce genre de trucs, faut pas s'emmerder : perso, je serais reparti rapidement, j'ai autre chose à faire que de poireauter face à un truc que je juge sans intérêt, et j'ai encore moins de temps à perdre à détester et à écrire ma détestation. Je ne sais pas qui t'a appris à faire cela, mais je t'enjoins à sortir de cette logique, ou du moins à prendre les choses avec plus de légèreté et d'humilité.

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    • #3
      Pol_ak était juste un peu fonceur, juste comme il faut, pour souligner que ce type était un peu aux fraises.

      Et franchement... Je doute que quinconque viendra ici pour se faire un opinion de Boyd.

      Et faut prendre les choses avec un peu d'humour parfois. Ou de recul. Ca fait pas de mal.

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      • #4
        Pardon de chercher à faire un peu d'humour.
        Des conférences pourries, j'en ai eu mon lot, merci aussi. Je traîne depuis suffisamment longtemps mes guêtres dans le milieu universitaire pour ne me faire aucune illusion à son sujet. Evidemment, le Boydy a été invité à ce truc parce que c'est un copain du dirlo de l'institut, ô surprise.

        C'est juste que putain, on vend un truc comme susceptible d'intérêt dans ma branche, et je me retrouve avec ce gloubiboulga infâme mêlant les pires tendances de certains lettreux aux vices d'une biologie pour les Nuls mal digérée ... Je prétends pas faire autre chose que ce que je fais, moi. Je me fiche pas mal de querelles d'écoles, là y en a même pas, d'écoles. Juste, j'ai eu à prendre mon temps, au début je comptais rien faire mais c'est devenu peu à peu toujours plus nawak que, jugeant l'objet digne de mémoire, j'ai pris en note tout l'enchaînement illogique pour la postérité. Un beau cas d'école de conf pourrie.

        Bref, si ça en fait sourire quelques uns, tant mieux, je pense pas que ce soit excessivement pontifiant de dire ça.

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        • #5
          C'est pour ça que j'évite en règle générale les confs

          (Surtout qu'en droit, certains sont très doués pour renifler leur propre derrière et dire que ça sent comme une roseraie)

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