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  • Brève (contre) Histoire de la Piraterie



    Ici nous ne parlerons que des pirates de l'époque coloniale européenne. Nous n'évoquerons donc pas les pirates de barbarie (ottomans) ni de la piraterie du temps de l'Empire Romain

    S'il y a bien un mot qui évoque des poncifs, c'est celui de pirate. Le pirate serait alcoolique, violent, cruel, avide de richesses et de pouvoir, et toujours en quête d'aventure. Il aurait, au choix, un oeil ou une jambe de bois, des piercings et boucles d'oreilles et se coifferait de bandana. La raison d'être du pirate serait l'enrichissement personnel au prix d'une mort quasi-certaine.

    Cette description forcément caricaturale de la piraterie est aussi réductrice qu'incohérente. Réductrice, car il existe autant de diversité chez le pirate qu'il en existe chez les autres êtres humains. Incohérente, car on voit mal comment des êtres humains, organisés en sociétés complexes, seraient amenés à risquer leur vie dans le seul but de s'accaparer des richesses.

    Pour comprendre l'histoire de la piraterie, l'historiographie de la piraterie est somme toute assez mince. L'essentiel de l'idée que nous nous faisons des pirates nous vient de deux ouvrages : La première est l'Histoire générale des plus fameux pirates, d'un auteur qui écrit sous le pseudonyme du Capitaine Charles Johnson mais dont on ignore encore aujourd'hui l'identité (il n'aurait vraisemblablement jamais été capitaine).
    La seconde est l'île au Trésor, de Robert Louis Stevenson, qui s'avère n'être qu'une fiction et qui a pourtant largement contribué à façonner l'image que nous avons des pirates.

    La piraterie n'est malheureusement pas un sujet d'étude très développé, comme peut l'être la traite des noirs, et pourtant c'est un sujet tout aussi riche, voire intrinsèquement lié à elle.


    1. Le devenir Pirate



    Comment devient-on pirate ? Cette question ne saurait être posée sans contextualiser la piraterie. A l'époque, quatre empire coloniaux se partagent les Amériques : l'empire britannique, l'empire français, l'empire portugais et l'empire espagnol. Ces puissances mondiales développent leurs colonies en s'appuyant sur les migrations forcées et la traite négrière. En parallèle, les puissances coloniales se dotent d'une marine puissante dont les vaisseaux entreprennent des voyages longs et périlleux.

    Les esclaves ne sont pas les seuls contraints à entreprendre ces voyages : les marins sont souvent des hommes contraints à prendre la mer de par leur extrême précarité ou de par leur endettement excessif. Les conditions de vie à bord des vaisseaux sont bien souvent extrêmes : épidémies, manque d'eau potable et manque de vivres sont monnaie courante. Souvent, l'équipage est rationné et n'est tenu en place par les officiers qu'au prix de brutalité et maltraitance. Il n'est pas rare qu'un capitaine batte à mort l'un de ses marins, et les mauvais traitements sont fréquents.

    On estime ainsi que durant la traite négrière, la mortalité de l'équipage est sensiblement la même que la mortalité des esclaves, et pour cause : un esclave a une valeur marchande, pas un membre d'équipage... Quand un homme meure, son corps est jeté par dessus bord et donné en pâture aux requins.

    Ces conditions de vie extrêmes favorisent les mutineries, et c'est dans ce contexte difficile que naît la piraterie. Être pirate est un acte politique : c'est une révolte contre l'injustice , une révolte contre l'autorité et la brutalité, et une révolte contre les énormes inégalités engendrées par un système colonial qui crée bien plus de richesses qu'il n'en redistribue.

    La piraterie est donc une contre culture d'opposition politique. Mais pas seulement : la piraterie peut également être vue comme émancipatrice, comme nous le verrons dans la seconde section.

    2. La société pirate



    Quand on pense aux pirates, on pense souvent à l'anarchie et/ou à la suprématie du capitaine pirate sur son équipage. Les travaux de Marcus Rediker permettent de mettre en lumière une réalité sensiblement différente : dans un équipage pirate, c'est l'équipage qui décide. Les deux représentants de la communauté sont le Capitaine, qui est choisi pour son courage et son expérience, et le quartier Maître. Le Capitaine est chargé d'organiser la chasse et les combats. Le quartier maître , quant à lui, surveille l'attitude du Capitaine. Mais il est également chargé de l'inspection générale des affaires, de la médiation, et de la trésorerie, il a donc un pouvoir non négligeable.

    Cependant, en dernier ressort, les décisions sont prises par consensus de l'équipage lors de la réunion du Conseil commun. Tous les membres de l'équipage y sont conviés et ont leur mot à dire, les décisions y sont ouvertes et les débats vifs. En dernier ressort, le capitaine et le quartier maître doivent se plier aux décisions du Conseil commun. Ce dernier délibère en cas d'abus de pouvoirs, et ces décisions peuvent aller jusqu'à la pendaison d'un des représentants si les fautes commises sont graves.

    Car les pirates se méfient de l'autorité comme de la peste : la plupart d'entre eux se sont révoltés contre l'oppression, et cherchent à s'en prémunir. Il est très fréquent que les pirates manquent de respect à leur capitaine, et ce dernier doit faire preuve de beaucoup de prudence pour ne pas se mettre l'équipage à dos. La culture pirate est une culture résolument anti-autoritaire.

    Le partage du butin est équitable. Les pirates abolissent le salariat et chaque pirate reçoit une part égale du butin. Le capitaine pirate ainsi que le quartier maître peuvent recevoir jusqu'à deux parts de butin, souvent une part et demie. A titre de comparaison, les salaires sur un vaisseau de guerre vont de 1 pour le simple marin à 100 pour le capitaine. La société pirate est donc très égalitaire.



    Sur l'image ci-dessus on peut voir des pirates assistant à un partage du butin. C'est le quartier-maître qui est chargé de répartir le butin et d'en faire l'inventaire sous la surveillance des autres pirates.


    3. Les conditions de vie des pirates



    On assimile les pirates à un grand enrichissement ; Dans les faits, les pillages et les abordages sont plus souvent des actes de subsistance que des actes avides. Il s'agit de respecter un minimum l'équipage que l'on attaque, ainsi les richesses prises lors de pillages portuaires ou d'abordages ne sont prises que si elles respectent un certain code d'honneur : il ne s'agit pas de voler les affaires personnelles d'un marin pauvre. De même, une fois désarmé, l'équipage ennemi est le plus souvent épargné, et on évite les exactions.

    Les signes de fort enrichissement de certains équipages pirates ne sont observés que durant l'age d'or de la piraterie ou certains pirates, comme Bartholomew Roberts ou Barbe Noire, jouent beaucoup sur leur image pour inspirer la crainte parmi les capitaines de la marine, et pour inspirer le respect et l'admiration des marins. Barbe noire se fera ainsi appeler "le diable" et mettra des coûteaux et des lames dans sa longue barbe pour suggérer une figure satanique, et ainsi terroriser ses adversaires. Ainsi, de nombreux vaisseaux se rendent sans même combattre les pirates.

    Les grandes puissances coloniales passeront outre leur rivalité et leurs guerres, et signeront un accord commun pour mettre fin à l'age d'or de la piraterie, qui était devenu un tel phénomène qu'elle a bouleversé la structure du commerce dans les colonies, et considérablement affaibli ces puissances en remettant en cause leur suprématie sur les mers. Rappelons que les vaisseaux de guerre étaient pour l'époque des vitrines technologiques : rapides et d'une puissance militaire inégalée, permettant aux puissances coloniales de dominer le monde. Or les pirates s'emparant de nombre de ces vaisseaux de guerre, ils devenaient une sérieuse menace face à ces puissances. Le déclin de la piraterie fut un épisode particulièrement sanglant de part et d'autre, et de nombreuses exactions ont été commises par des pirates qui se sentaient plus menacés que jamais. Les pirates, une fois attrapés, étaient pendus sur place publique dans les zones portuaires, pour terroriser les marins et les dissuader d'entrer en piraterie.

    Une tradition pirate, après la conquête d'un navire marchand ou d'un navire de guerre, est d'aligner l'équipage vaincu en face de son capitaine. Chaque marin est questionné et le capitaine lui demande s'il est bien traité, s'il est victime de brutalité, s'il mange à sa faim, s'il reçoit sa paie, etc. Si de trop nombreux marins se plaignent d'un mauvais traitement, le capitaine vaincu est bien souvent battu à mort. Au contraire, si le capitaine traite bien son équipage, les pirates le laissent repartir en mer, parfois sans rien lui voler.

    Il y a donc une certaine idée de justice au sein de la piraterie à l'égard des sociétés coloniales

    Comme dans tout équipage, l'équipage pirate est très souvent soumis aux même maux que les équipages des autres navires : disettes, épidémies sont courantes. Pour autant, les pirates cherchent à rester solidaire et équitables, ce qui améliore la vie à bord.

    La piraterie déclinera par la suite avec la volonté des puissances comme la Grande Bretagne de reprendre le contrôle des mers. Cependant, une piraterie contemporaine demeure aujourd'hui, essentiellement dans la corne de l'Afrique ou y règne instabilité et grande pauvreté.

    Voilà pour cette brève introduction à l'Histoire de la piraterie, je trouve intéressant de porter un autre regard sur la piraterie que les poncifs classiques véhiculés par Hollywood. D'autres que moi s'intéressent à la piraterie ?


    Pour aller plus loin...



    [0] Pirates de tous pays, Marcus Rediker
    [1] "Under the Banner of King Death: The Social World of Anglo-American Pirates, 1716 to 1726", Marcus Rediker
    [2] Between the Devil and the Deep Blue Sea, Marcus Rediker
    [3] piratesinfo.com
    [4] Conférence d’Étienne Chouard : La démocratie aux marges ; l'exemple des pirates, des serfs et des amérindiens
    [5] Conférence de Marcus Rediker : Atlantic Pirates in the golden age
    [6] Howard Pyle's Book of Piracy

    Howard pyle est une excellente source et un excellent illustrateur pour comprendre l'histoire de la piraterie. Toutes les images de ce post sont des dessins d'Howard Pyle
    Dernière modification par ashwolf, 07-04-2015, 21h16.

  • #2
    Très sympa comme sujet de discussion, question sur laquelle je n'avais jamais pensé à jeter un oeil, merci !

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    • #3
      Pour ceux qui ne sont pas allergiques à la langue de Shakespear, une conférence passionnante de Marcus Rediker sur la piraterie :

      https://www.youtube.com/watch?v=5NX17gJDK60

      A son apogée, la piraterie aurait représenté un quart des effectifs de la royal navy, soit cinq mille hommes. C'est la période faste, l'age d'or de la piraterie.

      EDIT : J'ai enrichi le sujet d'illustrations et de pas mal de contenu rajouté un peu partout.
      Dernière modification par ashwolf, 07-04-2015, 21h15.

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